Très peu de temps après que la première saison de Jupiter's Legacy ne démarre sa première saison sur Netflix, la nouvelle arrivait de façon assez abrupte de la part de Mark Millar : évoquant une "pause" à durée indéterminée et un casting entièrement relevé de ses contrats avec le géant du streaming, la série mère s'arrête après une seule saison. Qu'on ne s'y trompe pas : si le scénariste se refuse à parler lui même d'annulation et prétexte une série d'univers avec un second volet "sur les vilains" (Supercrooks, qui a droit à une série animée également), il s'agit bien d'un clap de fin pour la série mère.
Depuis l'annonce de cette annulation, tous les regards sont tournés vers les différentes compagnies spécialisées dans les analyses métriques des vues sur Netflix et autres plateformes de streaming, devenues le nerf d'une guerre du divertissement de masse. Or, depuis deux semaines, Jupiter's Legacy est en tête des classements aux Etats-Unis, affichant sur sa seconde semaine un total de plus d'un milliard de minutes regardées. Ce qui, rapporté aux total des 359 minutes de la série, donne un nombre de 2,8 millions de spectateurs qui aurait regardé l'entièreté du programme, ou 21 millions si on ne gardait que le pilote : mettons que la vérité doit se situer quelque part entre les deux. Un chiffre relativement important quand on le met en parallèle des 203 millions d'abonnés payants revendiqués en début d'année, et qui croit toujours régulièrement.
En face de ces chiffres supposés (puisque Netflix ne communique jamais publiquement sur ces données), on retrouve un ensemble de critiques assez mauvaises. Le score critique de Jupiter's Legacy est à 38% du côté critique, et 72% du côté public. Le fait est qu'il y a des productions avec des scores plus bas qui ont pourtant continué d'exister. A côté, les mêmes compagnies d'analytiques estimaient qu'une série récente telle que Shadow & Bone avait eu un score d'audience bien plus élevé, contre un coût de production bien moindre face à Jupiter's Legacy, dont le budget total est estimé à 200 M$, reshoots et marketing compris. Lorsqu'on se souvient que la production de la série avait été assez houleuse, puisque le showrunner initial Steven DeKnight avait quitté la série en cours de route, il apparaît assez clairement que la série a été annulée pour de multiples raisons, qui tiennent à la fois du budget, de différends créatifs, et d'un produit qui n'a pas réussi à être sauvé pour que le public lui apporte assez d'attention une fois sorti, alors que le registre du super-héros (et le nom de Mark Millar) sont pourtant assez vendeurs.
Arrive dès lors le Hollywood Reporter, qui vient apporter quelques éclaircissements très intéressants sur les raisons de cette annulation, au travers d'un long format dont on vous rapportera les principaux détails. Le journaliste Borys Kit explique que la production était certainement condamnée depuis le départ, puisque Steven DeKnight avait demandé à Netflix un budget de 12 M$ par épisodes, ce à quoi la compagnie ne lui avait concédé que moins de 9 millions pour chaque chapitre - de quoi ternir immédiatement les moyens pour les ambitions (visuelles, particulièrement) de Jupiter's Legacy. Très rapidement au cours du tournage, la production avait donc commencé à dépasser le budget, conduisant à une montée des tensions de la production avec Steven DeKnight, connu dans le milieu pour ne pas mâcher ses mots. C'est ainsi qu'on a assisté à son départ pour "différends créatifs", alors que la saison n'en était qu'à la moitié de son tournage, et que Sang Kyu Kim a été appelé pour reprendre la tâche. Ce dernier a donc dû retravailler l'ensemble des premiers épisodes - chose amusante par ailleurs, Kim n'est crédité au générique que comme "producteur exécutif", le nom de DeKnight restant celui mis en avant.
Toujours selon le Reporter, il est expliqué que les remous n'ont pas cessé une fois la phase de tournage initiale, avec un temps très important, inhabituellement d'ailleurs, passé au cours de 2020 sur la post-production. Louis Leterrier (qui a oeuvré pour Netflix sur les séries Lupin et Dark Crystal) a été appelé en dernier recours pour être consultant sur Jupiter's Legacy, ce qui n'aura pas suffi à sauver la série de ses tracas. Dès lors, entre une série qui n'a eu droit qu'à une vision rafistolée sans réel showrunner, un budget passé bien au-delà de ce que Netflix avait l'intention de donner (un total de 200 M$ est estimé, avec 130 M$ pour le tournage initial), il apparaît plus clair que Jupiter's Legacy allait avoir du mal à se poursuivre - sauf en cas de hit total, d'un accueil favorable des critiques, et surtout du public.
C'est là qu'un troisième facteur intervient : la personne qui avait donné le feu vert à Jupiter's Legacy, Cindy Holland, alors vice présidente pour les contenus originaux de Netflix, ainsi que deux des exécutifs qui supervisaient la série, ont quitté le géant américain au cours de la production. Le départ est arrivé au cours d'un turnover exécutif, sans forcément de rapport avec la production Millarworld. Toujours est-il que Holland a été remplacée à l'automne dernier par la vétéran Bela Bajaria qui n'avait pas pris par au projet depuis ses débuts, et qui allait donc scruter avec attention ce que Jupiter's Legacy allait coûter et rapporter à Netflix. Pour faire plus simple : un exécutif sans attache au projet doit prendre une décision en se basant sur un historique de production et de budgets houleux, avec un accueil critique très moyen.
La question des audiences reste évidemment compliquée avec la difficulté de les analyser avec précision. Malgré les scores importants rapportés en seconde semaine aux Etats-Unis, la série n'apparaît déjà plus dans les Top ou tendances en France. A voir désormais si, malgré cette annulation, la "marque" Jupiter's Legacy pourrait se montrer favorable à la future adaptation Super Crooks. L'historique est là pour montrer que dans le registre super-héroïque, avec les montants impliqués, tout pas de côté peut se révéler fatal pour une production. Même quand on s'appelle Mark Millar ou Netflix.