Si vous avez pu commencer à sentir la pointe d'une ride se former avec ironie au coin de votre oeil droit lorsque Kevin Feige, en plein panel à la San Diego Comic Con, a commencé à articuler les mots "Phase 6 et Phase 7" - réalisant subitement que vous n'aviez même pas encore le bac lors du premier Iron Man et que vous avez depuis fondé familles et foyers, tandis que le bonhomme à casquette déroulait ses plans quinquennaux sur plusieurs générations - sentez à présent le poids de vos futurs cheveux blancs en réalisant que, du côté de Warner Bros., tout reste encore à inventer. A force de faire des restructurations dans les restructurations, la société-mère de DC Entertainment (et de son département cinéma, DC Films) n'a pas encore posé de franche base à ce que l'on pourrait qualifier poliment de "saga". Il y en a bien eu une, mais malgré les crieurs publics, mettons que la résurrection n'a pas l'air d'être pour demain.
Mais alors, sans "Snyder-Verse", qu'est-ce qu'on attend, demain ?
Pour l'heure, la chose paraît difficile à formuler clairement. Lors d'une réunion d'actionnaires,
David Zaslav et ses différentes protubérances managériales (enfin, les lieutenants quoi) ont présenté une sorte de plan PowerPoint détaillant les objectifs immédiats du nouveau groupe
Warner Bros. Discovery. En ligne de mire, la vidéo-à-la-demande,
le groupement des plateformes HBO Max et Discovery+, et des tonnes de milliards à obtenir à coups de graphiques, de courbes qui montent et de mots valises vides de sens destinés à faire rêver les heureux investisseurs avant l'ouverture du buffet froid - "consolider", "amplifier", "performer", "le contenu, le contenu, le contenu". Blablablabla. Blabla.
Entre les lignes,
Zaslav a bien mis l'accent sur le cas spécifique de
DC Films. En accord avec une sorte de première en-tête dans les déclarations d'intention - souvenez-vous en avril dernier, lorsque le nouveau grand manitou promettait un remaniement en profondeur pour regrouper les différentes branches d'activité de
DC Entertainment (éparpillées sur différentes sous-sections,
Warner Bros. Television pour les séries
DC,
Warner Bros. Games pour les jeux vidéos,
DC Films pour le cinéma)
sous une seule et même bannière. Celle-ci apparaît clairement dans les feuillets chapitrés de l'industriel : dans les "franchises", les actionnaires et journalistes présents sur place ont pu noter la présence des logos
Batman,
Superman,
Wonder Woman et le symbole rondouillard de
DC en règle général dans les propriétés mises en avant. Aux côtés de très grosses machines, telles que
Friends,
Game of Thrones,
Harry Potter ou les départements
HBO et
Cartoon Network. Parenthèse :
Zaslav a aussi confirmé ce qui avait été dit
pour expliquer l'annulation (invraisemblable) de Batgirl en précisant que si le
streaming serait une part importante du nouveau modèle adopté par le groupe, le cinéma faisait partie des priorités. Cette mention a même été faite avant même de commencer à évoquer le cas
HBO Max, en première partie de conférence.
De la même façon, au moment de lister les différents studios intégrés à l'énorme structure WarnerMedia, Zaslav différencie bien Warner Bros. Studios, Warner Bros. Television et DC (ou DC Films). L'enclave devrait donc bien prendre une forme d'indépendance, là où l'ancien modèle plaçait les productions super-héros sous l'égide des mêmes patrons que les films du tout-venant - autrement dit, Kevin Tsujihara, ancien patron de Warner Bros. Entertainment, et sa cabbale d'héritiers malchanceux, Jason Kilar, Ann Sarnoff, Toby Emmerich, etc.
Le patron de
Warner Bros. Discovery ne s'est pas avancé sur les projets actuellement en phase de développement. Le destin de
Blue Beetle, une production cousine de
Batgirl lancée sur le même objectif (exclusive à
HBO Max) avant d'aller vers la case ciné, n'a pas été précisé, pas plus que celui de
Black Canary. Les différents partenariats avec
Bad Robot (
Superman, les séries
Justice League Dark) n'étaient pas non plus évoquées ou commentées. En mars dernier, la rédaction de
Deadline publiait une longue chronique sur les frictions survenues entre la société de
J.J. Abrams et le nouveau patron du groupe
Warner au sujet de certains accords signés avant la fusion :
Zaslav trouvant, entre autres, l'enveloppe de la série
Demimonde (un produit qui ne nous regarde pas au demeurant) un peu salée. Le contrat signé avec
Abrams aurait coûté trop cher au vu des résultats obtenus, selon le grand manitou, et on peut légitimement
se poser la question de l'avenir des séries Justice League Dark à l'heure où les budgets des créations originales
HBO Max ont pour interdiction d'excéder les 35 millions de dollars par saisons. Il n'est pas impossible que celles-ci passent à la trappe, à moyen terme. Aux dernières nouvelles,
Bad Robot préférait se concentrer sur son partenariat avec
AppleTV+ pour développer une adaptation du manga
Speed Racer.
Au passage, la limitation des 35 millions de dollars a aussi conduit quelques informateurs plus ou moins fiables à avancer l'idée que la série
Green Lantern de
Berlanti Productions, un temps en développement pour
HBO Max, avait été annulée. Pas de confirmation ou d'infirmation officielle à ce stade - les équipes du studio ont été connues pour travailler avec des budgets restreints, mais on imagine effectivement assez mal comment une adaptation consacrée aux porteurs de bagues pourrait se faire avec si peu d'argent. En particulier quand celle-ci pourrait bloquer un reboot au cinéma, en développement
depuis de très, très nombreuses années.
Zaslav a aussi rappelé qu'il ne comprenait ni ne soutenait l'idée de films à gros budget destinés aux plateformes de streaming - le retour sur investissement n'étant pas garanti et la base d'abonnés HBO Max s'étant déjà développée sans cet appui de blockbuster ciblés. Une stratégie à l'extrême opposée de celle adoptée par le groupe Disney depuis la pandémie - le conglomérat piloté par Bob Chapek n'hésitant plus de son côté à bazarder une quantité assez impressionnante de productions sur Disney+, parfois contre l'avis de ses équipes dans le cas des films Pixar. Ce pari sur l'expérience en salles risque toutefois de condamner certains films considérés comme potentiellement moins rentables. Ce qui est arrivé à Batgirl, et qui pourrait réduire au silence des personnages considérés comme secondaires, ou mal armés pour se plier aux codes du blockbuster grand public.
Dans ce qui a été mentionné clairement : Black Adam et Shazam sortiront comme prévu, aux deux dates prévues, et The Flash n'a pas (encore ?) été annulé. Néanmoins, à ce moment de l'article, il sera peut-être pertinent de rajouter que l'interprète de Barry Allen dans le film d'Andy Muschietti, Ezra Miller, se balade actuellement aux Etats-Unis vêtu(e) d'un gilet pare-balles et d'un flingue, se pensant simultanément poursuivi(e) par le FBI et le Ku Klux Klan (oui oh, vous savez... Les stars hein, haha). A voir comment la vedette passera le reste de l'année, et si la quantité de surprises déjà empilées au sommet de cet étonnant feuilleton ne risque pas de faire pencher la balance dans un sens ou dans l'autre.
Zaslav explique que le groupe ne sortira pas un film "
sans convictions", qu'il leur faudra "
développer et protéger" la marque
DC, et a mentionné le nom de
Alan Horn,
récemment réintégré au consortium Warner Bros. après avoir servi de président au studio principal pendant une dizaine d'années, lors de la période faste des années 2000/2010, dans la "section"
DC Entertainment. Ce qui servira peut-être de confirmation implicite au rôle de ce vétéran de l'industrie, un potentiel contre-
Kevin Feige pour les super-héros de la maison d'en face.
Et pour tordre le cou aux rumeurs - tenez, allez, on va même se faire un petit plaisir et citer ouvertement le nom de Grace Randolph, grande spécialiste de la désinformation et de l'abjection journalistique sur les réseaux sociaux, qui affirmait il y a quelques jours que Warner Bros. Discovery allait mettre un terme aux productions scriptées (c'est à dire : la fiction, en général) sur HBO Max - Zaslav a tenu à rappeler que l'information était, évidemment, erronée.
Pour preuve, James Gunn a tenu de son côté à rassurer les foules de fans inquiets : la série Peacemaker va bien se poursuivre, et ce malgré son budget qu'on imagine là-encore supérieur à la norme fixée par Zaslav. Pas d'inquiétudes pour le moment - on n'oublie pas que le projet fait partie des réussites de la plateforme HBO Max et a su fédérer un assez large public lors de sa première saison.
A dans dix ans, pour le décompte des points.
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