L'industrie des comics n'a de cesse de se renouveler et d'expérimenter au fil des réussites et des succès de chacun. Fondateur de la plateforme de lecture numérique ComiXology, David Steinberger annonçait sa démission au printemps 2022, peu de temps après que la plateforme elle-même ait été intégrée entièrement dans le Kindle Store d'Amazon, étant devenue désormais inutilisable. Quelque temps plus tard, Chip Mosher, qui chapeautait le programme ComiXology Originals et oeuvrait pour l'entreprise depuis 2011 (nous l'avions même eu en interview), était également sur le départ.
On sait désormais ce que les deux ont tramé ensemble depuis ces derniers mois : tout simplement la création d'une nouvelle maison d'édition. Mais avec un système de fonctionnement assez particulier qui mérite qu'on y revienne point par point.
C'est en fin de semaine passée - alors que nous étions occupés à nous apprêter pour le Paris Fan Festival, d'où le retard de cet article - que par le New York Times a été annoncé la création de DSTLRY (à prononcer "distillery") ; il s'agit d'une nouvelle maison d'édition en creator-owned imaginée par David Steinberger et Chip Mosher qui a plusieurs particularités.
La première, c'est que les auteurs, autrices et artistes de comics qui produiront des comics vont également être actionnaires de la société - il y a en fait un groupe d'artistes "fondateurs" qui réunit les noms parmi les plus en vue de l'industrie des comics, aux Etats-Unis comme à l'international. Voyez plutôt : Scott Snyder, Jock, Brian Azzarello, James Tynion IV, Ram V, Elsa Charretier, Mirka Andolfo, Joëlle Jones, Becky Cloonan, Tula Lotay, Stephanie Phillips, Junko Mizuno, Jamie McKelvie, Lee Garbett et Marc Bernardin se retrouvent à détenir des parts de la société. De façon à avoir des contrats de créateurs plus justes par rapport aux normes de l'industrie, et toucher également plus sur les titres à venir. Chaque créatif impliqué a d'ores et déjà un engagement pour plusieurs comics, et l'entreprise s'est engagée à mettre 3% de ses actifs de côté pour aider toute personne (fondatrice ou non) impliquée dans la création de bande dessinées dans les trois premières années d'existence.
Dans un second temps, le modèle de distribution mélange du traditionnel et quelque chose de plus moderne. D'une part, le single issue sera le format de base mais sur un modèle standard de 48 pages plutôt que d'une vingtaine, avec des collections (TPBs) censés être disponibles par la suite - en physique mais aussi en numérique, à l'inverse donc d'autres maisons d'édition lancées récemment comme Bad Idea. Autre détail important : le groupe Delcourt est annoncé comme étant également investisseur dans le lancement de la maison d'édition, et il faut donc s'attendre en toute logique que les créations qui verront le jour chez DSTLRY iront en VF directement chez Delcourt dans une forme de contrat cadre. De quoi poursuivre les relations déjà entrevues avec le partenariat signé entre Delcourt et ComiXology Originals l'an passé. Aux Etats-Unis, Kodansha (qui s'occupe de la publication de mangas) est également impliqué avec l'éditeur. On voit donc l'envie de la maison d'édition de proposer ses titres à l'international dès le départ. Est également à noter le nom du producteur Lorenzo di Bonaventura dans le papier du NYT, signe que les possibilités d'IP et d'adaptations des futurs comics sont également bien présentes.
Enfin, une autre spécificité de DSTLRY est de vouloir jouer sur le modèle de la "drop culture" : c'est à dire que les comics seront proposés en tirage limité - le nombre n'est pas encore indiqué - sans réimpression par la suite. C'est du moins ce qui est attendu sur le marché des single issues, mais chose plus étonnante, Steinberger et Mosher annoncent également une même forme de vente pour les comics au format numérique. C'est à dire que des copies des comics en version numérique seront mises en ventes exclusivement sur le site de l'éditeur, avec une forme de certificat d'authenticité, et que les acheteurs pourront ensuite les revendre au prix qu'ils veulent, sur la plateforme, sachant qu'un pourcentage ira à l'équipe créative dans chaque cas. Une forme de marché numérique de la collection qui laisse un peu circonspect, même si dans une interview consacrée à Heidi MacDonald pour le site The Beat, les deux fondateurs de DSTLRY expliquent en long et en large que ce qu'ils proposent n'aura rien à voir avec les NFTs, et que leur technologie de comics numériques "uniques" ne reposera pas sur de la blockchain et autres systèmes décriés pour leurs coûts énergétiques. Selon leurs propres mots, leurs serveurs ne consommeront pas plus que ce que fait ComiXology ou Apple Books.
Dans les grandes lignes, un éditeur de comics qui peut intriguer et dont on attendra surtout des oeuvres de qualité - au vu des personnes impliquées, on ne devrait pas trop avoir d'inquiétudes à avoir. Une première présentation du catalogue de DSTLRY sera faite à la SDCC au cours de l'été, et les premières séries débarqueront à l'automne. On gardera donc aussi un oeil du côté de Delcourt pour une VF qui se fera, sans aucun doute, annoncer sur du plus long terme.