Précédemment dans notre Countdown To Infinity War :
• Iron Man : point de départ ou point de non retour ?
• The Incredible Hulk : un mal pour un bien ?
• Iron Man 2 : première défaite du modèle ?
• Thor : le marteau et l'enclume ?
• Captain America - First Avenger : méta pour les bonnes raisons
• Avengers : Vers l'Infini et au-delà
• Iron Man 3 : le premier film d'auteur de Marvel Studios
• Thor : The Dark World et la crise d'adolescence du Marvel Cinematic Universe
Alors que les Plus Grands Héros de la Terre s’étaient réunis pour combattre une menace alien deux ans plus tôt, chacun était depuis parti revivre des aventures dans son coin, en attendant la prochaine menace mondiale. Tous sauf un, Steve Rogers, un homme retiré à son époque et qui n’avait plus pour seule raison de vivre que de servir son pays. Malheureusement, l’époque où la distinction entre gentils et méchants était évidente est révolue, et le premier des Vengeurs va s’en rendre compte à ses dépends.
Lorsque se termine la Phase 1 de Marvel Studios en 2012, Kevin Feige confirme le succès de son écurie, et assoit le statut de star de ses personnages et acteurs, et ce parfois malgré l’accueil mitigé reçu par certains films solo. Il est indéniable que des films comme Iron Man 2 ou Thor ont été des déceptions pour nombre de fans. Mais le public aime les personnages. Tous ? Non, en dehors des fans de comics, une partie conséquente de l’audience n’en a que faire d’un Captain America, héros bannière par excellence, qui incarne à leurs yeux la bienséance et le politiquement correcte que notre époque a tendance à rejeter. Un personnage jugé trop lisse, face à un Tony Stark cabotin et irrévérencieux, un Bruce Banner qui est l’incarnation de la colère, un dieu et des super agents secrets. Heureusement, Kevin Feige sait bien l’or qu’il tient entre ses mains.
Sans crainte, Feige reprend alors à l’écriture les responsables du scénario du premier film consacré à Steve Rogers, le duo Christopher Markus / Stephen McFeely. Eux aussi connaissent leurs classiques et cette forte capacité du Captain à s’adapter à son époque, et au style qui l’accompagne. Surtout, ils ont l’opportunité de raconter à l’écran comment leur héros se fait rattraper par le temps. En effet, sur le papier Steve Rogers s’est réveillé il y a bien longtemps, et a dû faire face à de nombreuses époques désillusoires. Il a vécu la Guerre du Vietnam, la Guerre Froide, le Watergate, le 11 septembre, et autant d’événements qui ont marqué le monde, mais surtout les USA et sa population, dont les scénaristes qui ont eu en charge les différentes séries liées à Captain America. A l’écran ce ne sont pas moins de sept décennies qui se seront écoulées avant le réveil du héros de la Seconde Guerre Mondiale. Le choc est alors brutal, et Rogers n’a pas qu’une playlist et une culture ciné à rattraper.
Réfléchissant à cette suite depuis la sortie du premier opus, Markus et McFeely veulent y mêler deux choses : un thriller conspirationniste, s’inspirant des Trois Jours du Condor de Sydney Pollack, et le côté personnel apporté par le run d’Ed Brubaker avec le retour de Bucky Barnes, meilleur ami de Steve Rogers depuis l’enfance. Rapidement ils abandonnent l’idée de créer une continuité directe avec le premier film via des flashbacks pour se concentrer sur cette relation intense, qui plus tard viendra être le point d’ancrage d’une certaine Guerre Civile. L’esprit du film était né.
Et pour marquer la distinction avec l’époque précédente, Kevin Feige trouve une nouvelle paire de réalisateurs. Après Joss Whedon ou encore Alan Taylor, il garde l’esprit tourné vers le laboratoire à talents qu’est la télévision, et jette son dévolu de façon assez surprenante sur Anthony et Joe Russo, deux frères que le public connait principalement pour avoir réalisé de nombreux épisodes de la série comique Community. Car au-delà d’être une simple comédie, Community est aussi une fenêtre ouverte sur les petits et grands écrans, et leur façon de fonctionner. Ils ont déjà mis en image leur guerre civile et leur guérilla urbaine à coups de paint-ball pour notre plus grand plaisir.
Le pari est intéressant, et relevé avec succès. The Winter Soldier nous montre des scènes d’action comme on n’en a encore pas vues chez Marvel Studios. Des fusillades au milieu des rues de Washington, des courses poursuites nerveuses en voiture, des corps à corps au couteau, tout ça est bien loin des avalanches d’effets spéciaux auxquelles on s’était habitués. Quant au côté plus mature du scénario, on est servi par des réflexions sur la surveillance de masse, les frappes préventives, la difficulté du retour au pays des soldats ou encore la transparence de l’information. A ce titre, l’élargissement du casting qui voit Nick Fury et Black Widow dans leur vie d’espions de tous les jours, et l’inclusion de Sam Wilson, est un sans-faute qui nous fait apprécier la construction de cet univers avec le temps
Comme prévu, notre Captain America est confronté violemment au monde moderne, à ses compromis, et à son absence d’idéaux, disparus alors que les siens étaient bien conservés dans la glace, ou dans un musée, là où toute la vie de Steve Rogers semble à sa place. La désillusion engagée avec Avengers et la découverte des armes de la fameuse Phase II, à savoir la technologie de l’Hydra reprise par le SHIELD, prend ici forme, tout comme le destin indépendant de Rogers qui l’emmènera prochainement défendre la Terre soutenu non par l’armée des Etats-Unis, mais par les forces du Wakanda.
Alors Kevin Feige et ses équipes ont-ils réussi un sans faute ? On l’aurait aimé. Car si les promesses apportées par ce film sont nombreuses, et souvent tenues, elles ne parviennent pas à masquer le cahier des charges interventionniste du studio. Ainsi les équipes techniques referont parler d’elle dans le troisième tiers du film qui se sent tristement obligé de détruire un immeuble et trois héliporteurs flambant neuf. Ainsi l’ambiguïté morale des personnages que sont Nick Fury et Black Widow se voit écrasée sous les ruines du SHIELD pour faire renaitre un vilain qu’on espérait oublié, l’Hydra, et qui viendra envahir l’univers des Agents du SHIELD à la télévision, réussissant cependant au passage un superbe crossover entre le cinéma et la télévision.
Plus les espoirs sont hauts, et plus la désillusion est grande. Ainsi The Winter Soldier a cet étrange effet de nous prouver en même temps que Marvel Studios est capable de faire des films de genre solide, tout en nous affirmant qu’il ne faudra plus jamais vraiment espérer sortir d’un carcan bien déterminé, donnant alors en partie raison à nombre des détracteurs du studio qui n’y voient qu’une suite de produits formatés prêts à prendre place sur l’étagère. Et c’est dommage, car dans l’esprit et dans l’âme, on avait plutôt de quoi être satisfaits.