On vous l'accorde, la perspective d'un film Joker réalisé par Todd Philipps, le papa de Very Bad Trip, n'est pas forcément des plus alléchantes, malgré le nom de Martin Scorsese à la production et un Joaquin Phenix courtisé pour le rôle du clown prince du crime. Mais l'intérêt d'un film centré sur la némésis de Batman se trouve peut-être dans un plan à (très) long-terme.
Avec ce film Joker, Warner Bros et la marque DC au cinéma entendent lancer une toute nouvelle gamme de métrages inspirés de comic books. On sait d'ailleurs que le film se déroulera dans les années 1980, et qu'il ne sera donc pas cohérent avec la continuité des films du DC Extended Universe, lancé avec Man of Steel ou plutôt Batman v Superman.
Cette idée a toujours été avancée par le studio et ses pontes, mais là où elle peut-être plus intelligente que prévu, c'est dans son potentiel stratégique. En effet, si on peut estimer qu'un petit one-shot de temps à autres ne ferait pas de mal au DC cinématographique, on peut également imaginer que cette Gotham alternative pourrait servir de socle à un autre univers.
En partant de la mégalopole et en centrant l'intrigue autour du Joker - qui à la base et qu'importe les canons, est une petite frappe qui n'aspire pas forcément à devenir un criminel, ou le devient par la force des choses - on remet les pieds au sol. L'occasion de graver un nouvel univers DC, dans une roche plus solide.
Inscrire les débuts du Joker dans une approche plus terre à terre, c'est donc ouvrir les portes d'un univers DC plus urbain, plus humain. Oubliez Superman et Krypton, les fondations seraient ici faites de crimes et d'événements beaucoup plus simples à appréhender. De notre empathie pour le personnage principal naîtrait ainsi un tout nouvel univers DC, immédiatement éloigné de la grandiloquence d'un Zack Snyder, aussi appréciable soit-elle.
Mais vous allez me dire "Peut-on vraiment bâtir un univers partagé autour du Joker ?". Ma foi, Jack ne serait pas la seule attraction du film. On aurait aussi Gotham, son architecture, ses flics pourris et bien sûr, un Batman en forme de Boogie Man, qui n'aurait qu'à intervenir dans les dernières minutes de pellicule. Des bases plus connues du grand public et que les fans attendent aussi de voir mieux développées sur grand écran.
Imaginez la dangereuse Gotham des années 80. Son ambiance gothique. Sa crainte du Batman, ses premières réactions à l'apparition de super-héros. Un terreau fertile pour une suite, puis un univers partagé complet. On recommanderait à Warner Bros de ne pas sauter les étapes, mais à partir d'un film sur le Joker, il serait très simple d'imaginer un film Batman à part entière, qui pourrait compter sur toute l'exposition du métrage dédié au prince clown du crime quant à Gotham et ses habitants les plus fameux.
Et comme on l'a vu dans la saga X-Men, placer l'intrigue dans les années 1980 serait l'occasion de revisiter des moments clés de notre histoire à la sauce comic book. Qu'aurait fait Reagan à l’apparition d'un Superman ? Quel vilain aurait pu participer à la guerre du Vietnam ? Vous avez compris l'idée : il s'agit de mêler notre réalité à celle de nos héros préférés pour mieux développer un message ou simplement, profiter du cadre de l'histoire avec un grand H pour assurer un grand spectacle.
En somme, le film Joker, plus qu'une origin story foireuse, pourrait être l'ultime joker (ah ah) dans la manche de Warner Bros. Un bon moyen de réinventer l'univers DC à la lumière d'une décennie fascinante, et de rebooter petit à petit, par étapes, dans un cadre qui d'emblée, signalera à tous les spectateurs, et même les moins avertis, que nous avons changé de contexte. Plus de confusion possible avec le DCEU donc, qui suivrait sa propre voie, ou simplement, choisirait de disparaître. Ajoutez à cela l'occasion de construire un univers partagé sur des bases et des codes différents, très proches de ceux du Dark Age of Comics, et vous obtenez un coup de poker digne des plus grands. Reste à savoir si Warner Bros y a pensé, mais ça, c'est une autre histoire.