Très loin de la périphérie d'Hollywood, des enveloppes budgétaires surréalistes et des grosses productions gourmandes en effets spéciaux, la production de Red Sonja suit son cours, depuis un petit village à une heure de route de Sofia, capitale de la Bulgarie. La rédaction du Hollywood Reporter s'est intéressée au processus tumultueux de mise en route de cette adaptation de comics hors normes - frappée par toute une série d'impondérables isolés, de scandales sexuels, de réécritures, de retard à l'allumage, de problématiques internes à la société de production en charge du projet, Millennium Films, etc.
Du reste, pour les informations un peu plus concrètes, ou susceptibles de compléter la chronologie de cette nouvelle tentative de restituer l'héroïne de Roy Thomas au cinéma, quelques points essentiels émergent au milieu du récapitulatif :
- Concernant le cas de Joey Soloway, quelques précisions. Suite aux nouvelles accusations survenues autour du cas de Bryan Singer, considéré pendant un temps à la mise en scène du film Red Sonja, et embauché à prix d'or par les propriétaires de Millennium Films pour superviser le chantier, la production avait opéré un virage à 180 degrés. De nouvelles accusations d'agression et de pédophilie venaient alors d'être mises en lumière lors d'une enquête journalistique accablante, publiée par la rédaction de The Atlantic. Le studio avait alors cédé à la pression - et aux griefs d'une partie de leurs employés, pas forcément très heureux d'être associés au nom de Singer et nombreux à militer pour la mise à pied du réalisateur. Millennium avait alors décidé d'opter pour une proposition inverse : pour pallier à cette problématique d'accusations d'agressions sexuelles, la solution fut alors de transformer le film Red Sonja en un plaidoyer féministe et militant dans le suivi d'une grande transition idéologique sur les héroïnes de cinéma, après les révélations du mouvement #MeToo. Soloway, créateur(ice) de la série Transparent, identifié(e) comme non-binaire et militant(e) de la cause LGBT+, passait alors pour un(e) candidat(e) qualifié(e).
- Son nom disparut toutefois assez rapidement des feuillets de production officiels. Selon le Hollywood Reporter, deux versions de l'histoire s'affrontent au moment d'expliquer son départ, et l'embauche de M.J. Bassett quelques mois plus tard. Selon Millennium, Soloway ne se sentait pas à sa place sur le projet. De son côté, celui-ci/celle-ci explique au contraire avoir été séduit(e) par une piste de réflexion au moment de préparer le projet, et de livrer la première version de son script pour Red Sonja. Soloway aurait effectivement été plus intéressé(e) par l'idée de formuler une série documentaire sur l'origine maternelle du Abraham biblique, née de ses propres recherches sur la symbolique de l'héroïne en tant que représentation d'une divinité féminine. Le(a) réalisateur(ice) reste toutefois attaché(e) au projet à la production, mais sans implication concrète sur le tournage ou en ingérence des idées développées par Bassett, qui garde seule la main sur les décisions utiles.
- Cette distanciation va même plus loin : lors de sa prise de poste, la réalisatrice nouvellement engagée pour occuper le rôle laissé vacant par Soloway s'est complètement appropriée le script. Voici comment l'article de THR résume cette réécriture, dans les intentions et la mécanique générale du discours de fond.
"Le script de Bassett, qu'elle a réécrit une demi-douzaine de fois, prend ses distances avec les thématiques de l'identité de genre et de la sexualité. Curieuse et amicale, la réalisatrice est aussi très directe : 'je n'avais pas tellement apprécié le scénario précédent, qui traitait plus de thèmes politiques sur la sexualité.' explique-t-elle. 'Bien sûr, dans ma vie privée ce sont des sujets qui m'intéressent, mais en tant que conteuse d'histoires, je ne suis pas sûre que ce soit la bonne piste.'
Bassett a également éliminé l'un des points d'intrigue du film de 1985 (ndlr : et des comics Marvel, mais on va pas chipoter) : le viol de Red Sonja par des brigands de passage. 'Je n'ai aucune considération pour l'idée du viol comme élément de motivation pour un personnage. Ce n'est pas une motivation forte. Sonja est juste un être humain dans un monde de féminité.'
Pour l'anecdote, l'article détaille également le long chemin de M.J. Bassett pour obtenir le droit de filmer les nouvelles aventures de Red Sonja - un personnage que la réalisatrice adore depuis l'enfance, et pour lequel elle milite depuis la mise en place du projet de reboot commandé par Millennium Films. Ce statut de fan de comics, qui la distingue d'une salariée à la commande dans les habitudes standardisées du marché, lui a aussi permis de faire le tri entre les bonnes et les mauvaises histoires de la barbare dans les comics Marvel, puis dans les rayonnages de Dynamite Entertainment, propriétaires officiels de Sonja depuis un peu plus de dix ans. Bassett n'a pas renoncé au fameux bikini en cotte de mailles qui sert de vêtement au personnage depuis sa création, mais peste toutefois contre les nombreux dessinateurs ou scénaristes incapables de voir plus loin que la plastique de Red Sonja et son argument de vente pour adolescents lubriques en mal de fréquentations.
L'article poursuit un peu plus loin sur les pistes du scénario.
"Avec Red Sonja, Bassett voulait éviter de tomber dans le thème de l'identité de genre, qu'une partie du public pourrait s'attendre à la voir utiliser compte tenu du synopsis : un personnage féminin emprisonnée dans des représentations misogynes depuis de longues décennies. Mais comment faire un film sur une femme puissante en n'abordant pas du tout la question du genre ? 'C'est un oxymore, pas vrai ?' reconnaît la réalisatrice. En lieu et place de cette logique, celle-ci faire du voyage de Sonja une allégorie existentielle plus générale sur la question de la survie de l'espèce face à la question du changement climatique."
Dans les dernières informations relatives à la production du film Red Sonja, le production designer Clint Wallace, tout juste sorti d'un boulot de directeur artistique sur Top Gun : Maverick, et passé également par Marvel Studios à l'occasion de Doctor Strange : in the Multiverse of Madness, explique avoir lui-aussi une liberté totale pour la création des effets spéciaux. A savoir, des effets spéciaux concrets et économes, qui devraient troquer la profusion de fonds verts des grosses productions contre des méthodes pratiques, ce que le bonhomme présente comme une bouffée d'air frais en comparaison de la machinerie hollywoodienne et de sa boulimie pour les images de synthèse.
Wallace évoque une imagerie qui irait chercher dans les tonalités de Mad Max, de l'imaginaire steampunk, et l'architecture de Frank Lloyd Wright, fameux pionnier du style prairie et de la construction d'habitations en harmonie avec la nature. Tout un programme.
Concernant Matilda Lutz, la tribune du Hollywood Reporter n'a hélas pas eu droit à un cliché supplémentaire de la comédienne en costume malgré une visite des studios autorisée par la production. Après avoir renoncé à sécuriser Hanna John-Kamen, un temps considérée pour le rôle, Bassett aurait opté pour cette actrice italienne dont la sincérité naturelle et la sympathie qu'elle inspire l'auraient immédiatement charmée. La tribune précise que Lutz aurait déjà pris treize kilos de muscle pour interpréter Red Sonja au cinéma, pour les combats à l'épée ou à la hache prévus au scénario.
Reste maintenant à finir de mettre le film en boîte, et à trouver un distributeur pour les Etats-Unis. Actuellement, le projet n'a pas encore de date de sortie officielle, mais la captation devrait s'achever d'ici les prochains mois autour de la capitale bulgare.
